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Photo du rédacteurAnaïs CD

J’ai perdu le fil...



Je fixe le plafond depuis ce qui me semble être une éternité. J’ai perdu le fil du temps, je serais bien incapable de dire combien de minutes ou bien d’heures ont pu s’écouler. Difficile de vérifier, j’ai banni les horloges autour de moi, leur stupide mécanisme est insupportable, entêtant. Il nous enferme dans une boucle temporelle anxiogène, dont la trotteuse et ses pernicieuses acolytes martèlent le rythme. Chaque chose est comptée et décomptée. Chaque élément a un commencement et une fin. Une fin prévue attendue, et pourtant inconnue, obscure. Mais pour le moment, je repousse loin l’image d’un quelconque dénouement. Qui donc aime connaître par avance la fin d’un livre ?


Je devine néanmoins que mes heures appartiennent toujours au royaume de la nuit. Plongé dans la pénombre, seuls quelques chétifs rayons de lune viennent percer l’obscurité pesante. Je distingue partiellement le chaos qui encombre ma chambre. Comme une projection de l’intérieur de mon crâne. Un beau foutoir...

Mais ici pas un seul bruit, le silence est assourdissant, me renvoyant la cacophonie que forment mes pensées désordonnées. Elles se battent et se débattent dans les tréfonds de mon esprit, au sein de ma conscience. Un océan d’idées fixes, à perte de vue, devant lequel je me tiens. Leur écume vient chatouiller mes orteils, des faibles réminiscences dans lesquelles je patauge. Mais parfois le niveau monte, et me submerge. Une vague déferlant jusqu’aux limites de mon subconscient, quand je perds pied et crois pouvoir flirter avec la douceur des songes. Pas de répit, jamais, aucun sursis. Trop facile. Et puis les cauchemars l’emportent sur les tendres et innocentes rêveries. Me les imposant comme un ramassis d’inepties, de vastes utopies. Comme pour mieux m’éprouver. Me prouver que le monde onirique ne m’apportera pas plus de repos. Une simple continuité à mes lamentables journées.


Je soupire, souffle encore et encore. Je jure silencieusement, pour moi-même. J’ai déjà tant blasphémé contre l’humanité et toute sa machinerie. Mais se joue une guerre sans fin entre ma raison et mes émotions. Quand j’aimerais mieux décrocher, m’arracher au réel, me noyer dans d’autres océans, dans d’autres profondeurs d’inconscience.

Je m’arrache finalement à la contemplation du plafond, tourne la tête sur le côté. La réalité me revient soudain, tandis qu’elle se tient là, allongée sur le ventre, son visage tourné vers moi. Une nymphe s’est glissée sous mes draps.

Qui peut bien être cette divine étrangère ? Comment s’est-elle retrouvée à partager mon lit ? Je ne m’en souviens plus. J’essaie de retracer la soirée passée, ce qui a pu me conduire à ruminer comme un condamné se repassant son existence. Ah oui... ça me revient... le pub... les verres de rhum... la fille seule au comptoir. Aussi seule que moi ce soir, malgré la compagnie de mes collègues. Qu’est-ce que je fais avec ces singes putain ? J’ai noyé mon ennui dans l’alcool... et le sexe visiblement. Elle préférait le vin blanc. Je me souviens du goût sucré et fruité sur ses lèvres. Leur douceur. La chaleur des baisers échangés. Nous avions tous les deux des choses à oublier. Elle a donc accepté de partager le reste de ma nuit. J’espère au moins avoir assuré. Je n’en ai aucun souvenir. Le film semble censuré lorsque mon taux d’alcoolémie est devenu déraisonnable.


Sa respiration me parvient légèrement, délicate et régulière. Je demeure quelques secondes ainsi à l’écouter. C’est comme si le monde s’était arrêté de tourner, m’était devenu si lointain qu’il me semblait ne plus en faire partie. Le temps s’était figé. Sauf pour nous, pour nos deux âmes ainsi allongées côtes à côtes. Je savoure ce moment que je sais fugace, celui où enfin je trouve la paix. Pour la première fois depuis des jours, des mois, des années. J’ai perdu le compte. Ce repos que je pourchasse sans cesse, une longue cavalcade désespérée. Je chéris l’idée que ma rédemption se trouve là, ici, contre elle, dans ses bras.


Je la contemple secrètement. La nuit et le sommeil garderont le silence de cette confidence. Le drap recouvre légèrement son corps, dont je devine les délicieuses formes. Son dos nu s’offre à mon regard, je parcours sa colonne, jusqu’à ses lombes. Des contours dessinés finement, des coups de pinceau raffinés, sublimes, parfaits. Je sens que me viennent des envies de voyages et d’excursions sauvages. Un aventurier en quête d’un trésor enfoui. Mais le tissu mesquin met fin à mon exploration, dissimulant le plus intéressant. Ces dunes ardentes que je songe à arpenter. Ce vallon dans lequel j’irais me perdre, te faire perdre la raison, à brûler nos passions. Je voudrais caresser encore et encore cette peau douce et délicate, la posséder en seul conquérant. La parcourir et l’assaillir de baisers. Mordre ce cou frêle, dont le doux parfum me fait saliver. Planter mes crocs dans chaque parcelle de cette chair tendre aux courbes suaves. Étreindre ce corps pour l’éternité sans jamais m’en lasser. J’aimerais que la lune ne finisse jamais sa course, que la nuit ne cède jamais sa place au jour et à ce qu’il n’a définitivement pas à m’apporter.


Tendrement, je pose mes doigts sur son épaule nue, je les laisse glisser le long de son dos jusqu’à ses reins. Je la sens frissonner, laissant échapper un faible gémissement. De dehors le pépiement des oiseaux me parvient doucement, l’aube s’approche à pas feutrés. Et alors que le jour vient et que le monde quitte son sommeil, voici que ma belle s’éveille. Les paupières encore lourdes, l’esprit embrumé. Son regard se pose alors sur moi. Quelques secondes où elle demeure silencieuse, essayant sûrement de retracer l’historique de la soirée, ce chemin qui l’a menée dans le lit d’un parfait inconnu. Est-elle aussi perdue que je l’étais ? Elle me toise, évalue mentalement si j’en valais vraiment le coup, maintenant que les effets de l’alcool se dissipent progressivement. L’attente est insoutenable.


Elle se retourne, contemple la pièce autour d’elle. Elle soupire. Puis se décide finalement à briser le silence. : « Ça n’était pas sensé se passer comme ça... ».

Je ne comprends pas, je reste un moment interdit désorienté. J’arrive seulement à articuler un piètre « Pardon ? ».

Elle s’assoit sur le bord du lit, me tournant le dos. « Je m’échappe toujours avec le manteau de la nuit. Je préfère laisser de moi seulement l’image d’un songe. Et comme je disparais, elle s’évanouit avec moi quand se montre le jour. Pas d’adieu. C’est comme si rien n’avait réellement commencé. Je n’existe pas pour toi, tu n’existes plus pour moi. On se serait épargné un moment gênant tu ne penses pas ? ».

Non, je ne pense pas. Je ne pense à rien en fait. Ou peut-être est-ce le contraire ? Trop de choses s’entremêlent et se bousculent. Je suis trop sonné pour formuler quoi que se soit de cohérent. C’est peut-être mieux ainsi. Et puis quoi ? Le cynique invétéré fait dans le sentimentalisme maintenant ? On va verser dans le mélo ? Non, boucle-là, n’ajoute rien.

Je la regarde se lever, alors que je le drap glisse le long de son corps, l’exposant dans toute sa nudité. Je me redresse, et continue de la lorgner, non sans avidité. Je me sens faiblir, je salive à nouveau devant ses fesses rebondies. Je ne suis qu’un homme. Il faut être fou pour s’infliger pareil torture et en redemander.


Elle s’éloigne, cherche ses vêtements répandus sur le sol. Elle passe sa lingerie, enfile sa robe et ses bottines. Elle se retourne enfin et daigne m’adresser un regard. Elle poursuit : « Je ne suis pas venue pour te sauver. Je ne sauve personne. Pas plus que moi-même. Alors, ne complique pas les choses, continue de ne rien dire. Car je ne me justifierais de rien. C’était sympa. Dis-toi ça si ça peut te réconforter ».

Sur ces ultimes paroles, elle tourna les talons, se dirigea vers la porte de l’appartement. Elle se retourna une dernière fois et avec la plus grande nonchalance, me lâcha un banal : « Salut ! N'oublie pas de m'oublier ! »


Cruel, mais quel personnage ! Un dénouement presque poétique. M’eut-elle envoyé un mail, l’effet aurait été moins violent. Je n’étais clairement pas prêt pour un coup comme ça. J’ai vu disparaître les bribes de ce qui me restait de romantisme. De son parfum sucré, il ne me reste plus en bouche que l’amertume. Sa douceur a laissé place à une rudesse cinglante que je n’aurais pas soupçonnée. Finalement la porte claqua, une gifle en pleine gueule. Aïe. Le retour à la réalité est pour le moins douloureux. À cela s’ajoutent la migraine et les relents de rhum qui me ramènent au présent. Le petit paradis que je m’étais créé vient de disparaître brutalement. De nouveau seul, comme un con. Je m’écroule sur le dos. J’ai la nausée...

Je fixe le plafond. Pourvu qu’à nouveau, je perde le fil du temps.

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