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Photo du rédacteurAnaïs CD

En toute mauvaise foi...



J’aurais essayé de te comprendre. Mais fidèle à l’être égocentrique que je suis, que nous sommes, j’aurais renoncé à une quelconque tentative d’adhérer à tes propos. En toute mauvaise foi. Je l’avoue, je l’admets. Non que je ne saisisse pas le sens de tes mots et de tes excuses – que je verrais sans doute plus comme un énième boniment venant consolider le peu de décence qui sommeille en toi –, mais il m’est impossible d’y consentir. J’endosse le meilleur rôle que je sache jouer : l’égoïste.

Un homme peu raisonnable, à la frontière du préjudiciable, toujours plus pitoyable.

Mais un être de passions, de sentiments et de pulsions. Et toi la charmeuse de serpents, exquise aguicheuse, tu m’appelles à toi, me séduis, m’apprivoises, me cajoles, puis me rejettes. Pour toujours mieux me faire revenir, enflammé par ma frustration, par mon désir, que tu caresses avec langueur. Ma simple humanité, ma médiocre virilité, à la merci de tes envies.

Alors je soutiens ton regard, ce regard qui me transperce jusqu’au fond de l’âme, comme si tu pouvais lire en moi – rien qui ne puisse plus être caché, rien qui ne puisse être falsifié, rien que je ne puisse retenir –. Et paradoxalement, j’attendais que tu relèves la moindre de mes pensées, aussi licencieuses soient-elles.

Alors je bois tes mots. Je contemple ces lèvres charnues que j’ai si souvent eu envie d’emprisonner contre les miennes. Sources de paroles si mielleuses et appétissantes, pour le plus grand supplice de mon imagination.

Pourtant le jeu a toujours été le même, seulement les règles n’ont jamais été clarifiées : ces friponnes impertinentes vont et viennent, disent et contredisent, attisent et dégrisent. Il y avait quelque chose de déloyal, de malsain dès le départ. Impensable que nous nous en sortions tous les deux indemnes. Et à présent, que devenons-nous ? Tu me toises depuis l’autre bout de la table. « À quoi penses-tu ? », lâches-tu enfin.

« À t’embrasser », répondis-je d’un air désinvolte.

Un pronom personnel, qui t’implique inévitablement, par lequel j’entends te lier à moi. Un simple verbe, « embrasser », donner un baiser. Pourtant jamais dis tout haut jusqu’à ce moment fatidique, où j’ai décidé unilatéralement de tout foutre en l’air, sans me soucier outre mesure de la portée de ces mots.

Renverser cette table qui nous sépare, tout envoyer valser, rembarrer la serveuse acariâtre et aigrie qui ne comprendra jamais rien à la fougue de la jeunesse. (Loin les regrets, de toute façon son café était exécrable). Et puis t’embrasser. Passer ma main dans tes cheveux, enserrer ta taille. Te prendre et te posséder. Pour une fois, cesser de bien se tenir, au diable la discrétion, les protocoles et autres codes à la con, qui endiguent mes fantasmes depuis bien trop longtemps.

Tu me jauges ce qui me se semble être une éternité, pour me répondre :« C’est cliché comme situation non ? ». Cynique, fidèle à elle-même, mon alter ego au féminin. Elle me malmène, mais elle me rend fou. Jouer dans le sentimental rend idiot. Et masochiste.

« Les plus grands clichés sont au fondement des grandes passions de la littérature et du cinéma, et ce dans toute leur complexité. Tu ne voudrais pas prendre la place d’une de ces héroïnes ? Tu gardes le droit de me torturer… », dis-je.

Sourire narquois.

« Décide-toi rapidement, avant que je n’ébouillante la serveuse avec son café immonde. Je ne répondrais plus de rien », renchéris-je.

Sceptique, tu soupires. Excédé, vanné, insensible, inaccessible.

Les jeux sont faits, la partie est terminée.

“ Eh bien ! je te laisse avec Roxane, Chloé, Juliette, la marquise de Merteuil et qui sais-je encore. Tu vis à travers tes livres, à travers des époques qui ne sont pas les miennes, pas les nôtres. Tu aspires à des idéaux qui me dépassent. Il y a bien longtemps que tu t’es perdu entre toutes ces lignes”.

Si tu avais lu entre les lignes, si tu avais déjoué le subterfuge des symboliques, tu aurais saisi que je ne suis pas homme à faire dans le spirituel et le platonique. Mais bien dans le charnel et le lubrique.

Mais tu me laisses sur cette tirade glaciale, ultime semonce avant que tu ne disparaisses définitivement de mon intrigue.


Et pourtant’ jusqu'à la fin de quelque chose qui n'avait jamais vraiment commencé, je t'aurais désiré. En toute mauvaise foi...

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