Je retourne dans ces lieux qui nous ont si souvent abrités. J'y contemple les vestiges de notre passé. Ces endroits où je sens encore ta présence. Je vois nos fantômes y défiler, et les scènes se rejouer indéfiniment. Des séquences qui tournent au ralenti, en boucle. Des flashs qui se répètent dans ma tête, depuis lesquels j'entends encore le son de ta voix. Toujours ce ton si railleur : "Quel délire ! Fais partager ta came !".
J'aimerais te dire que je prendrais toute les drogues possibles pour me noyer dans ces divagations grisantes. Car depuis l'endroit où je nous observe, tout est aseptisé et fade, déshumanisé et malade.
Je revois cette salle de cinéma, et nous, errant entre les rangées de sièges. Je peux encore sentir le pop-corn caramélisé que tu adorais tant. Tu jurais à chaque fois de faire durer le plaisir tout le long de la séance. Mais trop gourmande, il disparaissait avant même le début du film. Quelle vaste arnaque ! Le genre d'engagement qu'on ne tient jamais, à mettre dans le même panier que les bonnes résolutions chaque 1er janvier. Mais on en riait toujours. Puis transportés dans un autre monde, un rêve dans un rêve, nous nous égarions dans mille et un scénarii portés à nos yeux sur l’écran. Tu m’accompagnais alors dans mes divagations.
Je revois ce café cosy où nous nous réfugions, en quête de réconfort, par le temps froid et pluvieux, quand l'orage dehors grondait. Je revois les pâtisseries, délicieusement exposées dans les vitrines, nous donnant l'eau à la bouche. Ces tables isolées, qui ne tardaient pas à se charger de boissons chaudes et de desserts pour le goûter. Ces fauteuils moelleux dans lesquels tu te lovais, emmitouflée dans ton écharpe. Non que le froid nous tenaillait -l'ambiance chaleureuse suffisait à repousser sa présence au dehors-, mais seulement pour s'y sentir plus à l'aise. On se croyait presque à la maison, comme dans ces films de noël clichés, enroulés dans un plaid avec un chocolat chaud à la main. Ici le froid ne passe pas, et pourtant il me colle au corps, il est partout autour de moi. L’atmosphère, les murs trop blancs, l’air, les gens.
Je revois ce bar où tu me traînais tout le temps. Je devais toujours me démener au comptoir face à tous ces piliers qui tentaient désespérément de s'attirer les faveurs de la serveuse. Tout ça pour ce fameux verre de vin blanc. Doux et sucré, mais juste ce qu'il fallait pour s'enivrer. J'avoue que je prenais un certain plaisir à te voir un peu grisée et rire aux éclats par dessus le brouhaha alentour. C'était comme si tout disparaissait autour de nous : la foule, les discussions, les verres s'entrechoquant. Seule la musique demeurait. Et toi tu chantais, répondant à chaque nouvelle chanson. La playlist n'avait plus de secret pour toi. Alors j'aimais te hisser sur ce comptoir et te voir baller sur chaque nouveau rythme. Discrètement, je contemplais tes longues jambes se balancer, sous ces jupes d'écolière qui te rendaient si alléchante. Je jubilais intérieurement, de me dire que moi seul te déshabillerai cette nuit; que moi seul sentirai ta peau sucrée; que moi seul mordrai cette chair délicieuse. Je divaguais dans une myriade de phantasmes insensés.
Je revois cette chambre, ce grand lit de style ancien en fer forgé, cette atmosphère bohème et ces couleurs pâles et poudrées, qui conféraient à la pièce une ambiance si douce. Et toi toujours plongée dans un de ces épais romans, allongée, en tenue légère, malgré la fraîcheur. Un ravissant déshabillé qui me faisait tourner la tête, pour lequel je pouvais rester ainsi à te contempler des heures durant. Promener mon regard sur tes épaules et tes omoplates délicates, longer ton échine pour m’échouer sur tes lombes félines. M’attarder sur tes fesses charnues. Frôler la démence. M’abandonner, succomber.
Un vrai schizophrène, amoureux de mirages, amoureux de folies pures, amoureux, mais seul avec mes fantômes. Amoureux d’une ombre, d’un parfum presque oublié, d’une mélodie déjà lointaine. Car tu n’es plus qu’une silhouette, plus qu’une frêle émanation, plus qu’un rire absent, depuis la cellule où j’attends. Je guette un signe, j’espère. Un vrai détraqué, ici je ne flirte plus qu’avec mes névroses. La nostalgie me fait autant d’effet que les psychotropes. Je crois qu’ils tentent de me réparer, d’effacer mes angoisses et museler mes terreurs. Ils m’ont appris que j’étais cassé. Je leur ai dit, que je n’avais mal nul part pourtant. Mais nous sommes humains, des paradoxes incarnés. Ce n’est pas mon corps qu’ils essaient de raccommoder, mais ma tête et mon âme qui volent en éclats. Tous ces gens vêtus de blanc autour de moi. Ils me donnent l’impression d’un paradis reconstitué. Je pensais t’y retrouver mon ange. Mais ceux là ont perdu leurs ailes, ces soigneurs déchus, ces psychiatres corrompus. Mais je te reverrai, je le sais, je l’affirme et je te le promets. Je leur cracherai à la gueule leurs neuroleptiques, pour m’en aller dans un triomphal délire psychotique.
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