Elle se dirigea à pas lent vers la grande porte du bâtiment. Composant le code, un déclic se fit entendre, elle pénétra dans le large hall qui s’étirait devant elle. La porte se refermant derrière elle, la lumière abandonna peu à peu la pièce, jusqu’à devenir seulement une raie, avant de disparaître totalement en la plongeant dans les ténèbres. A nouveau ce sentiment, cette angoisse croissante qui montait depuis son échine en un fourmillement désagréable, la parcourant entièrement et la glaçant. A cet instant, dans cette sorte d’antichambre, elle retournait à ses limbes, encore. Elle revenait sans cesse à cette course contre la montre, lancée depuis le début, lui intimant de prendre une décision et d’y faire face.
Il lui fallait sortir de cette torpeur dans laquelle elle s’empêtrait. S’habituant alors progressivement à la pénombre, elle s’avança précautionneusement vers un escalier massif en colimaçon. Des filets de lumière perçaient par endroit, venant rompre un peu le noir de la nuit. A chaque étage, de minces et hautes fenêtres se dessinait. Elles laissaient s’insinuer les lumières des quelques lampadaires éclairant la ruelle devant la résidence. Une légère clarté tentait ainsi de braver la nuit d’encre, révélant çà et là quelques éléments de décor, des pans de murs. D’infimes particules de poussières dansaient dans ce clair-obscur, légères, figées dans cet infini. Ce simple spectacle en devenait envoûtant, ralentissant encore la jeune fille dans sa progression.
Elle avança vers l’escalier massif, d’un pas de procession. Elle posa finalement une main sur la rampe glacée, la guidant ainsi dans son ascension. Cependant à mesure qu’elle gravissait les marches, chacun de ses pas l’amenaient vers ce moment clé. Sur son sillage ses propres démons omniprésents, l’entouraient dans la pénombre. A présent plus proches que jamais, se pressant à sa suite, ils tambourinaient dans son esprit. Leur sinistre musique, entêtante, raisonnait en elle, comme sonnant le glas.
Premier palier. Passant devant la fenêtre, elle jeta un œil à la rue se dessinant en contrebas. Toujours ce reflet blême, ce regard vitreux. La douceur qui imprégnait d’ordinaire ce visage s’était muée en un masque austère. Sur ces traits marqués, on pouvait lire un épuisement inextinguible. Elle s'en détourna aussitôt, pourquoi s'affliger encore plus de tourments. Elle arriva au second palier, un silence pesant s’installait progressivement. Marquant un temps d’arrêt, elle fixa la porte juste en face d’elle. Elle inspira profondément, fermant les yeux, quelques secondes s’écoulèrent. Lorsqu’elle les rouvrit, elle marcha en direction de l’appartement. Fouillant les poches de sa veste, elle y dénicha un trousseau de clés, les prit et inséra l’un d’entre elle dans la serrure. Le petit élément déclencha un cliquetis dans le mécanisme, déverrouillant la porte. Elle l’ouvrit, pénétra dans le vestibule tout en la refermant derrière elle.
Tout l’appartement était plongé dans les ténèbres, si bien qu’elle ne distinguait les éléments autour d’elle que dans différentes nuances de gris, allant jusqu’au noir. Elle était chez elle, à l’abri du monde extérieur et de toutes les contraintes qui l’enchaînaient chaque jour un peu plus. Et pourtant même ici elle sentait cette force peser sur ces épaules. Ces liens qui se resserraient toujours plus, emprisonnant ses poignets, ses chevilles, son corps, et la privant de ses mouvements. Etait-ce cela que de se retrouver « pieds et poings liés » ? Se voir immobilisé dans l’attente que quelqu’un ou quelque chose vous sauve de votre propre impuissance. Se sentir suffoquer sans capacité de reprendre votre souffle. Se noyer dans ses propres abysses sans radeau auquel se raccrocher.
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