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Actes manqués - Part 9 -

Photo du rédacteur: Anaïs CDAnaïs CD



Tom ne l’avait pas quitté du regard tout au long de cette pénible déclaration, l’écoutant patiemment et attentivement. Pas une seule fois il n’avait essayé de la couper. Les mots et les éclats de rire si doux qu’il lui connaissait avaient disparus, au profit de sentences amères et douloureuses. Assimilant et accusant le flot de paroles, ainsi déversé, sa gorge se resserrait. Son cœur ne battait plus la mesure que de manière désordonnée. Tout s'enchaînait dans son esprit, alors qu’il voyait sous ses yeux se rejouer leur histoire et ses grands moments, une dernière fois. Car il s’agissait bien de cela, une dernière fois. En dépit des circonstances, les souvenirs heureux lui arrachèrent un sourire. Il revoyait son visage s’illuminer quand elle l’apercevait ; ses joues s’empourprer quand il lui glissait un mot doux ; l’éclat de son rire ; son parfum fruité, la douceur de sa peau. Déjà pointait en lui, un pincement au cœur, face à tout ce qu’il laisserait à présent derrière. Tant d’évocations qui d’abord, l’enveloppaient d’une incroyable douceur, avant de se faire plus douloureuses. Puis se recentrant sur le visage de Laura, il finit alors par acquiescer :


- « On a vécu de belles choses je pense. On a partagé encore plus. Des heures sombres comme de plus heureuses, de mauvais délires comme de merveilleux instants. Tout cela restera en chacun de nous deux. En toi j’espère. Et en moi, peut-être un peu plus longtemps, car je ne veux pas oublier tout ce qu’on a traversé, ni tout ce que nous étions. Ce qui m’effraie à présent le plus, c’est de finir par devenir un parfait étranger pour toi, une ombre quelconque de plus, qui déambulera autour de toi sans que tu la voies. N’être plus qu’un fantôme errant misérablement dans ce cimetière dont tu as parfois évoqué l’existence. Laisser ta main s’échapper de la mienne, m’arrêter là sur le chemin et te regarder continuer le tien. Puis t’admirer de loin et te voir te reconstruire, après avoir été celui qui te connaissait par cœur. Tu m’oublieras rapidement, alors que je t’ai encore si profondément dans le cœur et dans l’esprit. J’aimerais avoir la prétention de te demander de pouvoir faire encore partie de tes pensées, quand tu glisseras le soir vers le pays des songes. J’aimerais pouvoir y être aussi, mais ce serait cavalier de ma part. Au lieu de ça, je ne te demanderais qu’une seule chose, de me faire savoir que tout va bien pour toi et que tu es heureuse. J’espère que tu trouveras quelqu’un digne de toi et qui te comprenne, car tu restes une personne exceptionnelle dans tes qualités comme dans tes défauts. Garde ça à l’esprit, n’en doute jamais, même si tu es extrêmement têtue », acheva-t-il dans un sourire timide.


Elle faillit le retenir. La porte de l’appartement encore grande ouverte, il était sur le départ. Il se pencha vers elle, l’embrassa tendrement sur la joue : avec toute cette affection dont il avait toujours fait preuve à son égard, dont il l’avait toujours enveloppée. Ils échangèrent un regard, le sien était empli de cette bienveillance coutumière. Toujours cette même affection, cette même douceur sur ses traits, mais entremêlée de tristesse et d’une note d’espoir sans doute. Elle se demanda quelle expression elle pouvait bien arborer en retour. Parmi le chaos qui régnait ces temps-ci dans ses pensées, elle se voyait tiraillée par ce dilemme qui revenait inlassablement, comme un rappel à l’ordre. Cette voix sévère et acerbe, l’enjoignant à prendre une décision et faire un choix.


La vie elle-même n’est qu’une succession de choix. Ils nous déterminent, nous forcent à nous remettre en question, nous contraignent à choisir des chemins au détriment d’autres. Des décisions tantôt d’une évidence enfantine ; tantôt des plus laborieuses, donnant lieu à des questionnements sans fin. On tente de repousser au maximum l’échéance, mais le temps finit toujours par nous rappeler à nos devoirs. Alors on essaie de soumettre la question au reste du monde, sans grand espoir, car elle nous revient le plus généralement sans l’ombre d’une réponse. On ressasse, on brasse toujours ces sempiternelles interrogations, se demandant si nos choix sont justes ou si l’on fonce droit dans un mur.


La décision avait été prise. Et ce jour-là, elle devait s’y tenir, aller jusqu’au bout.

Elle se résolut à le regarder une dernière fois. Le regarder s’éloigner. Elle aurait pu rattraper sa main. Faire comme si rien de tout cela ne s’était passé. Elle aurait pu le serrer contre elle, lui dire que tout allait bien. Elle aurait pu lui dire que tout était limpide sans aucun nuage sombres venant obscurcir le ciel. Que la saison des orages et des pluies était passée. Elle aurait pu lui chuchoter qu’il ne manquait que sa présence, le prier de rester car sans lui le monde était vide et froid. Mais aurait-ce été sincère ? N’aurait-ce pas été égoïste ? Du moins son absence aurait-elle été la véritable raison, ou faisait-il déjà partie de la multitude au dehors ?


Elle aurait dû... Et pourtant, elle n’a rien dit, rien fait de plus que le regarder longuement s’effacer dans la pénombre de la cage d’escalier retournée aux bras de la nuit. Et avec cette dernière image, ce dernier cliché d’un moment de vie, c’est une partie d’elle-même qu’elle laissa s’en aller. Celle avec qui elle avait fait un morceau de chemin, marchant côtes à côtes.


Mais le corps, déjà trop éprouvé, s’était finalement dressé contre l’esprit chancelant. Ainsi les êtres ont parfois des ratés, des actes manqués. Sûrement était-ce mieux ainsi ?

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©2024 Anais Caruso Damiani.

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